Orus occulte une étoile !

Assez fréquemment, des astéroïdes du système solaire passent devant des étoiles lointaines : pendant quelques secondes, l’étoile disparait. C’est ce qu’on appelle une occultation d’étoile. En général, le phénomène n’est observable qu’au télescope, car l’étoile occultée est elle-même très peu lumineuse. S’il y a des occultations quasiment toutes les nuits, leur bande d’observabilité est beaucoup plus étroite que pour une éclipse de Soleil : seulement quelques dizaines de kilomètres. Pour un endroit donné, le phénomène reste donc relativement rare.

Le site Lucky Star recense les occultations passées et futures. Le but est pour les astronomes amateurs d’enregistrer très précisément la disparition et la réapparition de l’étoile. À l’aide d’une position très précise des observateurs et observatrices, ainsi qu’une datation GPS des images, il est possible pour l’équipe de Lucky Star de déterminer finement la trajectoire et la forme de l’astéroïde.

Résultat de l’ajustement de la forme de l’astéroïde (95626) 2002 GZ32 suite à une occultation le 20 mai 2017 (Santos-Sanz et al. 2021)

Une occultation était censée être visible sur Meudon le 16 décembre 2022 à 2h10 du matin (CET). Le Club Astro a donc décidé de tenter sa chance à la Table Équatoriale malgré l’heure peu engageante (et le froid !). Hélas, quelques jours avant la date clé, on nous a annoncé que la dernière prévision nous mettait en dehors de la zone d’occultation. Toutefois, une occultation négative serait toute aussi précieuse pour contraindre les caractéristiques de l’astéroïde.

Le 16 décembre vers minuit, nous voici (Vincent Lapeyrère et Miguel Montargès) à pointer le T60 vers la zone de l’étoile Gaia DR3 52846553217624832 (de magnitude 14.8 : très faible !). Coordonnées RA/Dec de la date : 04 16 02.6608/+23 00 06.181. Pour pouvoir trouver l’étoile plus facilement, nous utilisons un réducteur de focale x0.5, ce qui nous permet d’avoir une focale de 4m au lieu 8m, et donc un champ plus grand. Surprise : impossible de faire la mise au point ! Quelle que soit la position du miroir secondaire, le foyer n’est pas accessible. Il nous a fallu démonter la platine focale à 0h30 du matin pour remplacer les longues colonnettes du T60 par les courtes qui n’étaient plus utilisées depuis des années. Inutile de préciser que le métal était particulièrement froid, même à travers les gants, par cette nuit hivernale.

Carte de champ. Gaia DR3 52846553217624832 est au centre sous la croix verte.

Cette manipulation a permis de rapprocher la caméra du télescope et donc de faire la mise au point. On arrive à reconnaître le champ et trouver l’étoile qui va être occultée. Nouvelle surprise : avec un binning 2x2 et des temps de pose de 10ms, le logiciel Firecapture refuse d’écrire des fichiers FITS ! Le froid et l’inquiétude sont là, d’autant plus que nous savons qu’il est probable que l’étoile ne disparaisse pas au vu des dernières prévisions. Nous ne nous laissons pas abattre : nous rusons avec les réglages pour parvenir à acquérir les images.

T-10min : nous sommes prêts (merci les 2h de marge !). L’instant T arrive, moment magique : Gaia DR3 52846553217624832 vacille puis disparaît pendant quelques secondes. Nous ne sommes que deux dans la coupole, mais l’explosion de joie est bien réelle !


Petit bonus : en augmentant le temps de pose après l’occultation, nous nous permettons de tirer le portrait à l’astéroïde Orus (magnitude 17).

Le lendemain (après quelques heures de sommeil), Vincent Lapeyrère extrait la courbe de lumière de nos observations. L’occultation a été observée sans ambiguïté et sera sans doute très utile aux équipes de LuckyStar.

Courbe de lumière de l’occultation de Gaia DR3 52846553217624832 par Orus le 16/12/2022, à Meudon. © Vincent Lapyrère